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Les Etats Unis expliqués à ma mère. Chapitre 1: Le fédéralisme américain

Publié le par Carole Desgoutes Wojtkowiak

Parler de politique et de l’actualité avec la famille est parfois compliqué lorsque nous ne partons pas avec les mêmes éléments. Il m’est parfois demandé de vulgariser mes connaissances. L’idée de cet article provient de mes récents échanges avec ma mère, avec qui nous essayions de commenter les élections américaines. De sa propre confession, ma mère n’y comprend en fait rien aux différentes formes d’Etat, et de ce qui différencie les Etats Unis d’Amérique de nous, la République Française. Ca tombe bien, j’adore le droit constitutionnel comparé.

Le but sera ici de comprendre dans les grandes lignes le fédéralisme américain, le fonctionnement politique aux Etats Unis, les équivalences éventuelles en politique française de leurs deux principaux partis politiques.

Chapitre 1 : débutons donc par la théorie générale de l’Etat et des exemples de formes étatiques qui s’opposent.

 

Le fédéralisme américain vs l’unitarisme français

 

Une des notions essentielles permettant de comprendre le fonctionnement des Etats Unis, est déjà son organisation étatique, qui est dite « fédérale ». Pour comprendre cette organisation, il convient de la mettre en exergue avec les autres types d’organisation et administrations d’Etats existants.

Partons de la France, qui sera notre principal élément de comparaison, et donc clé de compréhension.

 

Disclaimer ! Aux éventuels lecteurs juristes : ne vous offusquez pas de l’extrême résumé que je m’apprête à faire, et des orientations que je vais prendre. Je m’adresse à un public qui n’a pas fait de droit. Je suis toutefois ouverte à vos commentaires si je commettais une erreur vous paraissant odieuse, ou bien si vous aviez des idées de meilleure vulgarisation.

 

A/ Organisation étatique de la France

La France a une organisation étatique dite « unitaire ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Tout part du pouvoir central, et tout revient vers ce même pouvoir central. Je m’explique : prenons l’administration des impôts par exemple.

Le pouvoir exécutif (Président, Premier Ministre et gouvernement) définit les grandes orientations qu’il entend mettre en place ou modifier pour une nouvelle année fiscale, et il va utiliser son bras armé qu’est l’administration, afin de mener à bien ses politiques publiques. Les lois de finances institutionnalisant les politiques publiques sont bien évidemment prises et votées par le Parlement, soit le pouvoir Législatif. Si les administrés (sujets de l’administration, que tout citoyen français est) ne se conforment pas aux exigences légales et aux exigences règlementaires (ou de manière plus imagée : règlementaires = administratives), ils peuvent donc faire l’objet de poursuites judiciaires.

Voici comment fonctionnent en France nos trois principaux pouvoirs étatiques. Ils s’articulent entre eux suivant une séparation définie par la constitution de 1958, la fameuse « séparation des pouvoirs », telle que préconisée par ce célèbre Montesquieu, et garantissant la démocratie.

Afin d’administrer au plus près des échelons locaux les politiques publiques, s’assurer de l’application des lois, et poursuivre les contrevenants (ou délinquants, ou encore criminels), nous avons mis en place en France une « déconcentration » du pouvoir central. C’est-à-dire que tout part de Paris vers les provinces pour appliquer ces règles uniformes à travers le territoire.

Bercy (Ministère des finances et toute l’administration des impôts sur laquelle il s’appuie – correspondant à la branche exécutive du pouvoir) ne pouvant matériellement avoir un regard sur tout ce qui se passe sur l’étendue du territoire, il s’est démembré en « directions régionales » et « départementales », et collecte donc l’impôt directement dans ces établissements publics d’administration locale. Mais de manière imagée, on peut dire que tout remonte d’une certaine manière vers Bercy, la gardienne de nos finances publiques nationales, dans le budget global de l’Etat.

Il n’y a aucun intermédiaire entre l’Etat et ses administrés dans ce cas présent. La représentativité de l’Etat français est présente partout sur le territoire en sa propre personne via différentes autorités. Citons d’autres exemples d’entités connues de cette déconcentration : Le Préfet, figure de l’Etat dans les régions et département, et le maire en sa qualité d’officier d’Etat civil. Ces deux autorités sont dépourvues de toute autonomie et de la personnalité morale.

Le seul bémol que nous puissions trouver dans cette gouvernance territoriale unitaire, réside dans la libre administration qui a été confiée à des entités juridiques autonomes que sont les collectivités territoriales. Toujours dans un souci d’assurer la démocratie en permettant aux territoires de définir leurs propres besoins, de s’organiser afin d’y répondre de manière personnalisée. Mais elles demeurent également en grande partie soumises au pouvoir central. C’est pour cela que nous parlons de « décentralisation ». Toutefois, ces collectivités territoriales sont soumises au respect de l’unique constitution française (la constitution est le texte juridique suprême qui régit le fonctionnement des institutions de l’Etat) et du droit tel qu’il est produit par le pouvoir législatif (le Parlement et ses deux chambres que sont l’Assemblée Nationale et le Sénat, pour rappel).

Revenons donc maintenant aux Etats Unis !

 

B/ L’organisation étatique et politique aux Etats Unis

Comme introduit dans le paragraphe précédent, les Etats Unis d’Amérique sont une fédération d’Etats. D’où son appellation d’ailleurs. Ce sont des Etats unis dans un même appareil d’Etat, prévu et organisé par la Constitution de 1787 ainsi que ses 27 amendements.

Dans cette configuration, la séparation des pouvoirs est dite « verticale », car elle répartie entre l’Etat fédéral et les états dits « fédérés ». L’enjeu réside dans la répartition des compétences entre l’Etat fédéral et les états fédérés, suivant le principe retenu par les pères fondateurs : le principe des droits des Etats. Il s’agit de la version américaine d’un principe que nous-mêmes européens connaissons mieux sous l’appellation de « principe de subsidiarité », et selon lequel la responsabilité d'une action publique, lorsqu'elle est nécessaire, revient à l'entité compétente la plus proche de ceux qui sont directement concernés par cette action.

 

1. Point historique 

Revenons un peu en arrière.

Au XVIIIème siècle, avant d’être la fédération des Etats Unis, cet Etat nouveau avait dû se battre pour son indépendance vis-à-vis de la couronne d’Angleterre. Parce qu’elles étaient contraintes notamment par une fiscalité défavorable et une gouvernance leur paraissant illégitime, les colonies présentes sur le territoire américain firent une alliance afin de proclamer leur gestion autonome. C’est ainsi qu’en 1776, au cours de cette guerre contre l’Angleterre, avait été rédigé par Thomas Jefferson le texte à l’origine de la fête nationale américaine célébrée chaque 4 juillet, la déclaration d’indépendance.

À la suite de cet évènement, ce qui était alors une « confédération » de colonies entreprit de rédiger sa propre constitution, sous l’impulsion des célèbres Georges Washington et John Dickinson. Les 13 colonies composant alors les « états des états unis d’Amérique » rédigèrent chacun de leur coté leur propre constitution, établirent par là-même leur propre gouvernement et devinrent chacun des Etats au sens strict du terme. Ils s’accordèrent pour transférer certaines de leurs compétences vers un Congrès, qui aurait vocation à être un gouvernement pour l’ensemble de leur union : la confédération. Toutefois, ils ne transférèrent par méfiance que peu de compétences, et aucune en matière fiscale, ce qui eut pour contre effet de ne conférer aucun fonds propre à leur embryon de gouvernement.

Ces efforts ne suffirent donc pas, et les « articles de la Confédération » de 1777 furent un échec. C’est en prenant acte de cet échec que la Constitution de 1787 fut rédigée.

 

2. La Constitution de 1787

Cette Constitution est encore aujourd’hui en vigueur et est l’une des plus vieilles à avoir traversé autant les âges. Elle institue :

- Un régime présidentiel qui se caractérise par la non-responsabilité du pouvoir exécutif devant le pouvoir législatif et interdit notamment la dissolution du législatif par l'exécutif. Ce qui est l’inverse en France, puisque le Président peut dissoudre l’Assemblée Nationale et provoquer, comme nous avons déjà pu le voir dans l’Histoire, des cohabitations.

- Une séparation stricte des pouvoirs, grâce à la mise en place de rigoureux « checks and balances » ou autrement dit « freins et contrepoids ». Ces moyens de contrôle et d’action réciproques entre les institutions consistent notamment à :

  • Donner au Président un droit de veto sur les textes législatifs. Ici le Président peut donc bloquer la promulgation d’une loi votée par l’organe législatif qu’est le Congrès (Chambre des représentants = Assemblée Nationale + Sénat) en opposant son véto.
  • Reconnaître au Sénat la faculté de s’opposer aux nominations relevant du Président ou encore aux traités internationaux négociés par l’administration.

La Constitution institue également une Cour Suprême, haute cour de justice de la fédération (équivalent d’un Conseil d’Etat et d’une Cour de cassation fusionnés), qui s’est petit à petit auto-conférée par sa jurisprudence un plus grand pouvoir, dont celui du contrôle à postériori (après promulgation) de constitutionnalité des lois.

Tous ces dispositifs sont inédits en France.

 

3. Critique du fédéralisme américain

Le fédéralisme est généralement perçu comme le mode de gestion adéquat de la diversité. Comme on a pu le voir à travers l’histoire, les Etats Unis tiennent à leur liberté ainsi qu’à leur gestion autonome. C’est à cet objectif que le fédéralisme répond en théorie : assurer un gouvernement décentralisé plus sensible aux besoins divers d’une société hétérogène, lutter contre la tyrannie, augmenter les opportunités d’investissement des citoyens dans les processus démocratiques, permettre plus d’innovation et d’expérimentation dans le gouvernement, et rendre ce dernier plus proactif.  

En pratique, cela peut aussi créer des conflits supplémentaires : les Etats fédérés peuvent se retrouver en compétition les uns avec les autres en raison des règles de droit des voisins (notamment encore en raison d’une fiscalité plus favorable ici et plus rigoureuse là), peuvent avoir des manières différentes d’appréhender la justice sociale et le droit pénal (exemple de la peine de mort qui demeure dans certains Etats fédérés dits « plus conservateurs »).

Il peut être parfois difficile de savoir si l’initiative d’une politique ou d’une action doit appartenir à l’Etat fédéré ou à la fédération, ce qui provoque de longues procédures judiciaires aux fins de connaître le titulaire de la compétence. Ce genre de problématique est bien entendue préjudiciable aux intéressés, d’autant lorsque les besoins sont urgents.

Parmi les autres critiques classiques faites au système américain : il est souvent reproché à la Cour Suprême son poids sur les institutions fédérales américaines, et d’avoir une lecture de la Constitution plus favorable aux pouvoirs de l'État fédéral, donc au détriment de ceux des États fédérés. L’organe judiciaire suprême dans la fédération a donc une certaine forme de monopole difficilement renversable en ce qui concerne les conflits de droit. Et le message qui peut ici être compris c’est que la fédération reste toujours supérieure aux Etats, en fin de compte.

Si ce questionnement nous est inconnu sein de l’Etat français, par comparaison encore, nous sommes en revanche susceptibles de l’avoir dans une certaine mesure, en ce qui qui concerne nos relations avec les institutions de l’Union Européenne. Mais il s’agit d’un autre (très gros) débat…  

 

C/ Le Président américain vs le Président français

1. Le Président américain et son élection :

Le Président américain est à la fois chef d’Etat et chef du Gouvernement (Art.2 U.S C). Il est élu avec le Vice-Président de son choix, par un collège de grands électeurs au suffrage universel indirect. Son mandat est de 4 ans renouvelable une seule fois.

Pour remporter une élection, chaque candidat finaliste à la Présidence des Etats Unis doit pouvoir être sûr de remporter les votes d’au moins 270 grands électeurs.

Chaque Etat fédéré, en fonction de son poids démographique, se voit conférer par sa propre législature un nombre précis de sénateurs et de représentants à élire au Congrès. La Californie, par exemple, est l’Etat américain au plus gros poids démographique : il place 55 membres au Congrès. C’est ce même nombre qui détermine combien de grands électeurs se trouveront dans le collège électoral pour élire les Président et Vice-Président. Lorsqu’un candidat obtient la majorité simple des voix dans un Etat, il remporte l’ensemble des voix des grands électeurs, peu importe leur appartenance à un groupe politique : En Californie, si un candidat démocrate obtient la majorité des voix des électeurs locaux, il remporte donc les 55 grands électeurs de cet Etat. Le fait que certains grands électeurs parmi le groupe soient républicains n’importe pas.

Une fois élu, de concours avec son Vice-Président (qui en fait n’a pas de rôle particulier si ce n’est de suivre les dossiers du Président et le succéder en cas de vacance ou mort), le Président est le commandant en chef des Armées et de la Marine. Le pouvoir de déclarer la guerre est toutefois officiellement confié au Congrès. Officieusement, certaines impulsions en la matière résultent d’une décision prise au sein des Nations Unies, ensuite validées par le Congrès.

La Constitution américaine prévoit que le Président peut également « exiger l'opinion, par écrit, du principal fonctionnaire de chacun des départements exécutifs sur tout sujet relatif aux devoirs de sa charge ». C’est une manière intéressante de dire que le Président peut requérir par écrit les conseils ou les lumières de ses Ministres pour tous les sujets qui intéressent sa compétence. Cette rédaction laisse surtout le loisir au Président d’organiser son gouvernement et son fonctionnement comme il l’entend. Il peut décider de créer ou non, son équivalent de « conseil des ministres ».

En ce qui concerne les engagements internationaux, il peut négocier et signer des traités que sous réserve d’obtenir l’avis et l’accord des 2/3 des membres du Sénat.

 

2. Le Président français

En France, le Président de la République française est lui élu au suffrage universel direct (donc directement par le peuple, et a des compétences qui lui sont propres. Tout comme aux US, il est le chef des armées. Il est également à la tête de la diplomatie française, pour laquelle il négocie et ratifie les traités multilatéraux et autres conventions internationales (Art. 52 C).

Le Président nomme son Premier Ministre. Le Premier Ministre est le chef du Gouvernement, et non pas le Président. Nous parlons en France d’un pouvoir exécutif à deux têtes. Ces deux têtes ont été dans notre histoire tour à tour en harmonie et leur travail se complémentait (Nicolas Sarkozy et François Fillon), ou en opposition, notamment lors des périodes de cohabitation (Jacques Chirac et Lionel Jospin).

S’il peut prendre des décisions seul, notre Président n’en est pas moins très encadré et ne peut exercer une partie de ses compétences qu’avec le contreseing du Premier ministre ou d’un ministre concerné. Par opposition, nous avons vu qu’aux Etats Unis, les ministres n’ont presque qu’un rôle consultatif.

Il est enfin le garant de la constitution ainsi que de l’indépendance de la justice. En cas de crise et de menace immédiate pour la France suivant la lettre de la Constitution, le président peut bénéficier de "pouvoirs exceptionnels », qui pour une durée limitée vont affaiblir la séparation des pouvoirs et conférer au Président un pouvoir quasi autoritaire.

 

 

Conclusion

 

Le Président français partage beaucoup de son pouvoir avec son Premier ministre et son gouvernement. L’exécutif français, de par sa configuration, se limite lui-même dans ses pouvoirs, et sa prise de décision n’est jamais complètement libre.

La séparation des pouvoirs est toutefois plus ouverte qu’aux Etats Unis, car l’exécutif peut engager sa responsabilité devant le Parlement, et bénéficie également de la faculté de dissoudre ce dernier. L’exécutif français, lorsque les deux têtes sont en harmonie, dispose d’une arme de dernier recours redoutable offert par sa constitution, sous son article 38 : ce dernier permet de légiférer par voie d’ordonnance et donc prendre le contrepied du Parlement.

Le Président américain, quant-à lui, compose selon sa conception son gouvernement, est assez libre dans la manière de gouverner. Mais ce qui le limite dans ses pouvoirs est justement la séparation plus stricte des trois pouvoirs, et les « checks and balances » qui peuvent renverser certaines de ses initiatives. Si les cohabitations n’existent pas à proprement parler aux Etats Unis, il n’en existe pas moins des situations de blocages très handicapantes dans la poursuite de leur vie politique. Ce fut le cas en 2011 entre l’Administration de Barack Obama et le Congrès concernant la gestion de la crise financière. Le Congrès bloqua pendant des mois les « ordres exécutifs » du Président. Ce genre de situation se passe notamment lorsque la couleur politique de la composition du Congrès évolue de manière défavorable au Président.

Le Président américain est également contraint par l’existence des différentes couches de droit et de compétences qu’il doit respecter, s’il ne veut pas se mettre des Etats fédérés à dos.

Il s’agit donc de deux types de gouvernance bien particulières et aussi complexes l’une que l’autre, mais il conviendrait quand même de dire que, bien qu’il s’agisse d’un régime dit présidentiel aux Etats Unis, le Président doit faire face à plus de contraintes.

 

 

Sources: 

http://www.senat.fr/lc/lc242/lc2424.html

The Oxford Introduction to US law "Constitutional law" - Michael C Dorf & Trevor W Morrison

Wikipedia

Constitution de la République Française de 1958

Vie-Publique.fr : 

https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/270289-la-separation-des-pouvoirs

https://www.vie-publique.fr/fiches/20167-la-deconcentration-definition

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